Prix Kastler 2017

Le Prix de biologie Alfred Kastler 2017 récompense Mohammed Moudjou, Jérôme Chapuis et Vincent Béringue pour leurs travaux sur les maladies neurodégénératives

Mohammed Moudjou, Jérôme Chapuis et Vincent Béringue, ingénieurs et chercheurs au sein de l'équipe Macro-Assemblages Protéiques et Maladie à Prion de l'unité de recherche Virologie et immunologie moléculaires (VIM), sont les lauréats du Prix de biologie Alfred Kastler 2017 de la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences. Ils sont récompensés pour la mise au point et l'utilisation d'une technique améliorée d'amplification des prions in vitro. Le procédé utilisé permet la réduction de l'utilisation des animaux vivants dans ce type de recherche.

Le prix de biologie Alfred Kastler 2017 de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) a été créé en 1984 à la mémoire du professeur Alfred Kastler, prix Nobel de physique et cofondateur de la LFDA. Il est destiné à encourager la recherche et l'application de méthodes expérimentales permettant de ne pas utiliser l'animal. En 2017, il récompense Mohammed Moudjou, Jérôme Chapuis et Vincent Béringue pour leurs travaux sur les maladies neurodégénératives. Le 5 décembre 2017, le prix leur a été remis dans le cadre d'une cérémonie officielle, présidée par Louis Schweitzer, Président de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences.

Quand les besoins de la recherche rencontrent les préoccupations éthiques

Depuis la crise de « la vache folle », les recherches sur les prions se sont fortement développées. Les "maladies à prion", appelées Encéphalopathies Spongiformes Transmissibles (EST) provoquent des troubles neurologiques progressifs d’issue inéluctablement fatale. Elles touchent l'Homme ainsi que de nombreuses espèces animales de rente ou sauvages. Les agents infectieux responsables de ces maladies, les prions, sont composés d'une protéine qui, repliée de façon anormale, est capable de transmettre cette conformation déviante à la protéine du prion normale. Les différentes souches de prions présentent des virulences variables selon le type de repliement de la protéine prion anormale, un mécanisme encore très mal connu. L'équipe "Macro-Assemblages Protéiques et Maladie à Prion" (MAP2) de l'unité VIM conduit des recherches pour, notamment, expliquer au plan structural ces variations de virulence.

Pour mesurer l’activité biologique des prions (e.g. infectiosité, neurotoxicité), les chercheurs procèdent à des bioessais chez l’animal de laboratoire. Outre la question bioéthique, l’inconvénient majeur de ces bioessais est la durée d’incubation de la maladie qui, chez les rongeurs de laboratoire, même transgéniques pour la protéine prion normale, peut varier entre deux mois et deux ans. Dans les années 2000, le Dr Claudio Soto, a développé une technique pour identifier la présence de prions dans un échantillon. Cette technique, fondée sur l'amplification de protéines prion anormales a été nommée Protein Misfolding Cyclic Amplification(ou PMCA). Elle utilise classiquement des lysats de cerveaux de souris comme source de protéines normales susceptibles de se transformer en présence de prions. Les chercheurs du laboratoire MAP2 ont tout d'abord amélioré la technique de PMCA en réduisant la quantité de substrat nécessaire, jusqu'à la diviser par trois, tout en améliorant la sensibilité et la rapidité de la technique. Baptisée mb-PMCA pour miniaturized beads-PMCA, la nouvelle technique permet d’analyser à haut débit une centaine d’échantillons en seulement 3-4 jours. Elle permet de réduire considérablement le nombre de souris utilisées en expérimentation animale (là où il aurait fallu 300 à 400 souris pour déterminer le titre infectieux d'une dizaine d'échantillons par bioessai, il n'en faut plus qu'une avec la mb-PMCA).

Réduire, puis... remplacer

Il ne restait plus qu'à s'affranchir du substrat obtenu à partir du cerveau de souris pour parfaire la méthode. Et les chercheurs ont réussi ! Ils ont mis au point un nouveau substrat créé à partir de cellules en culture, qui fonctionne pour  plusieurs souches de prions, y compris le variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob issu de la contamination humaine par l’agent de la vache folle. L’espoir est maintenant d’arriver à amplifier les souches de prions de toutes les espèces en utilisant exclusivement des lysats de cellules en culture.Le développement de la nouvelle PMCA, appelée Cell-based mbPMCAfacilitera dans l’avenir les investigations sur les maladies à prion en recherche fondamentale ou appliquée (décontamination, thérapeutique) et dans le domaine du diagnostic humain, notamment à partir de sang. Les travaux actuels extrapolent la méthode à d’autres marqueurs de maladies neurodégénératives dues à des protéinopathies comme la maladie d’Alzheimer et celle de Parkinson.

L'initiative des trois chercheurs a retenu toute l'attention du jury du Prix de biologie Alfred Kastler. Une belle récompense pour leur équipe, et, plus largement, un encouragement à la recherche de méthodes alternatives à l'expérimentation animale, quand cela est possible.

Voir aussi

RÉFÉRENCES SCIENTIFIQUES

LES MALADIES À PRIONS

Chez les animaux

Chez les animaux, le prototype des maladies à prion est la tremblante du mouton (et de la chèvre) décrite au début du  XVIIIe siècle. Une autre maladie à prion naturelle rencontrée en Amérique du Nord, et depuis avril 2016 en Scandinavie provoque la maladie du dépérissement chronique (chronic wasting disease, CWD) chez les cervidés. Cette maladie, dont l’expansion est incontrôlable menace la survie de certaines espèces de cervidés et présente un risque de transmission à d’autres espèces animales. L'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), plus célèbre sous le surnom de maladie de la vache folle, est apparue chez les bovins en Grande-Bretagne au milieu des années 1980. Plus de 200 000 cas cliniques ont été déclarés, et 2 à 4 millions de carcasses contaminées sont passées dans l’alimentation humaine. Ces 25 dernières années, l'épidémie de l'ESB a été à l’origine de crises alimentaires et économiques importantes. Ces maladies présentent un potentiel zoonotique (tremblante, CWD) ou sont zoonotiques (ESB).

Chez l'Homme

Les EST humaines connues sont : le Kuru, apparue chez le peuple des Foré de Papouasie-Nouvelle-Guinée à la suite de rites anthropophages ; la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) dont la forme la plus fréquente est sporadique, avec 1,7 cas par million d'individus et par an dans le monde. La forme sporadique touche essentiellement des personnes âgées (moyenne d’âge 65 ans). La MCJ existe également sous forme génétique (syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker (GSS), Insomnie fatale familiale (IFF)) et iatrogène (greffes d'organes, injection d'hormone de croissance contaminée, implantation d'électrodes). La contamination de l’homme par  les prions ESB a provoqué l'émergence en 1996 d’une nouvelle maladie dite variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). Contrairement aux autres MCJ connues, le vMCJ affecte préférentiellement des personnes jeunes (âge moyen 29 ans). On dénombre 178 et 27 cas de vMCJ en Angleterre et en France, respectivement. Bien que ce nombre de cas soit très limité au regard de l’exposition de la population, une étude récente menée en Angleterre a révélé qu’une personne sur 2000 serait porteur asymptomatique de la maladie  dans le tissu lymphoïde (1/20 000 par extrapolation en France). Dans le cas du vMCJ, le risque de transmission secondaire via la transfusion sanguine est avéré. Ces maladies constituent donc des risques majeurs pour la santé publique.

Date de modification : 14 septembre 2023 | Date de création : 07 décembre 2017 | Rédaction : Christine Jez